arbustes du jardin de La Rose Verte

lundi 20 juin 2011

Déballage









 Un long silence…
Beaucoup de travail au jardin, multiplié par la présence des maçons qui s’éternise.
Le travail de l’artisan quel qu’il soit doit précéder celui du jardinier, c’est une règle à laquelle aucun jardin ne déroge, pourtant ici, cela ne peut se passer comme cela!
Depuis trente ans, se sont succédés ici, de nombreux corps de métier puisque tout est parti d’une parcelle de vigne encore exploitée, une parmi tant d’autres,  où l’hiver le dernier berger du village conduisait son troupeau.
La maison terminée, les gravats à peine déblayés, ou enterrés discrètement alentours : je les ai retrouvés en voulant planter les premiers agrumes, les travaux ont recommencé.
Cette fois-là, plus de maçons, de charpentiers, juste quelques hommes de bonne volonté, un tracteur, des chaînes et jusqu’à tard le soir à la lueur des phares, ce qui restait de la vigne a disparu.
La cheminée venait d’être posée, elle n’a pas tardé à servir !
Ensuite, pas de répit, un motoculteur, une remorque et un homme souvent seul mais très déterminé et sachant ce qu’il attendait de ce terrain très pentu…déplacement de mètres cube de terre, création de talus, de terrasses, des fossés creusés, la clôture peu à peu aussi s’est élevée, piliers, murets, marches, buses à enterrer.
De nouveau, ciment , mortier, briques et compagnie et les gravats qui vont avec, j’en ai retrouvé aux quatre coins du terrain, piquets, grillage, fil de fer,  j’en évacue quotidiennement des morceaux, des résidus depuis dix ans et je pense que cela va continuer…longtemps !
Une sorte d’archéologie, d’historique émietté de l’évolution de la maison et du jardin.
Quelques années après la construction de sa maison, celui qui entre temps avait commencé à planter les premiers arbres fruitiers ou d’alignement, fit élever, un petit bâtiment en plein cœur du jardin pour y stocker  l’outillage nécessaire à la gestion d’un potager, d’un verger, d’une petite pelouse, d’une grande prairie plus l’entretien de haies variées mais aussi pour servir de grenier, la maison n’en n’ayant pas ni de cave non plus…
Réapparition des artisans pour le gros œuvre de cet abri de jardin, le crépi par exemple étant réalisé par le maçon-jardinier de service qui était surtout , tout autre chose et dont le métier finit  par tant le passionner qu’il en oublia tout le reste…une vingtaine d’années…et puis je suis arrivée !
Avec mes cartons, mes idées, mes envies d’aménagement du jardin, mes projets de mise en valeur de ce qui existait déjà, et depuis dix ans, comme les hirondelles, reviennent régulièrement les artisans : ferronniers, électriciens, maçons, peintres, carreleurs, plombiers, craints autant que désirés !
 Vu l’âge des jardiniers, le jardin ne pouvait plus attendre et sa structure végétale finit de se mettre en place en même temps que le support purement technique et matériel.
Et voilà que les arbres, premier plantés dépérissent...
Certains fruitiers ont une vie assez courte, le verger a été replanté, complété, la relève est assurée.
Nous avons perdu les plus fragiles des arbres plantés, il y a trente ans, un orme doré, magnifique, des cyprès de l’Arizona plantés trop serrés, ou trop près de la maison, très difficile d’imaginer ce que vont devenir les petits scions que l’on aligne consciencieusement pour créer une haie !
Les vents de tous bords n’en finissent pas de souffler sur les collines et les arbres ici sont soumis à rude épreuve.
Troncs penchés, branches cassées, feuilles lacérées, c’est à longueur d’années que se livre cet immuable combat, et parfois le vent d’Espagne ou la tramontane gagne comme il y a si peu de temps.
 Il m’arrive alors de désespérer, de marquer le pas quelque temps, il n’est guère facile de jardiner en ce pays, de vent, de sécheresse, de canicule. A chaque fois, j’amende mon projet, je le réduis, verte peau de chagrin fracturée de soleil !
Mais au fond, ai-je bien le choix d’arrêter, de continuer?? comment pourrais-je abandonner ce jardin que j’aime tant, peut-être seulement plus l’écouter, lui laisser le loisir de devenir ce qu’il doit être, juste l’y aider.
Là-bas tout au fond, sous les chênes, le paysage a changé, il y a eu le vide, pas très longtemps, à peine plus d’une semaine…beaucoup trop tard en saison pour planter un arbre, mais six mois ici, maintenant, c'est beaucoup!
Il a eu un peu de répit pour s’installer, l’été a débarqué en fanfare, un rien en retard, sur l’habitude mais quand même un peu en avance sur la date officielle.
Le frêne oxycarpa ‘Flame’ qui doit clore le chemin qui menait au robinier ‘Frisia’ vient de découvrir la chaleur à laquelle il faudra qu’il tente de s’acclimater…
Certains arbustes, certains rosiers qui poussaient dans la demi-ombre à cet endroit vont avoir aussi quelques étés difficiles, il faudra que je les aide, que je leur accorde encore un peu plus de temps et d’attention.
Cinq heures au jardin en moyenne tous les jours, par tous les temps, toute l’année.
Dans les moments difficiles, parfois huit heures, combien de temps tiendrai-je encore ainsi ?
Le jardin ne sera pas ce que je déciderai qu’il deviendra, il sera de toutes façons et avant tout ce que tous ces végétaux et animaux vivant en interaction durant toutes les années passées et celles qui viendront, construiront ensemble avec moi et d’autres pour les aider seulement dans la simple mesure de nos moyens, dans le temps qui nous sera imparti.
Arrivé par transporteur un matin , le frêne s’étirait déjà au fond du jardin le lendemain soir, bien à l’aise dans le trou préparé en l’attendant, transplanté dans un sol ameubli et amendé, arrosé jusqu’à plus soif, tuteuré en prévision d’une belle et rapide évolution, objet de toutes nos attentions et de notre bienveillant intérêt, pour le reste, c’est à lui de jouer !
Son déballage en images et sa première photo au jardin, il mesure un peu moins de 2m…je vous tiendrai au courant !

vendredi 3 juin 2011

L'étranger

Il était venu de loin, il y a un peu plus de trente ans, sa splendeur nous était coutumière, nous n’y prêtions plus guère attention.
Etranger, loin de son pays d’origine, hors de notre continent, ses racines étaient pourtant fortement ancrées dans notre jardin, dans notre vie. Il avait vu passer tant de nos semblables, entendu tant de rires, de pleurs aussi, il régnait sur un endroit au large de notre maison d’hommes, île de silence loin de tous les tourments.Il était si grand, nous ne le voyions plus, juste son tronc crevassé où j’ai si souvent posé la main. 
Le vent le déshabillait de ses brindilles en trop, de ses branches mortes aussi, épineuses et d’un noir terne.
Il était si solide pourtant, certains de ses semblables vivent depuis 400 ans, mais je le savais malade, blessé, en sursis ; j’avais juste fait pour l’aider, le peu qu’il y avait à faire. J’aurai du faire plus, même si tout un chacun se plaisait à me dire que l’on y pouvait rien. Je ne l’ai pas assez aidé, je lui ai juste donné quelques années de plus. Il y a tant d’arbres au jardin et j’ai si peu de temps. Est-ce que je leur accorde vraiment celui qu’ils méritent, moi qui décide que tel ou tel va m’accompagner ?

Une tempête de trop a déchiré de haut en bas, son tronc malade, j’étais là mais trop loin, dans ma vie de femme, dans mon banal quotidien et mes petites préoccupations, je n’ai même pas entendu tomber l’une de ses grandes charpentières. Ce n’est que lorsque je suis allée au fond du jardin quelques heures plus tard que j’ai constaté, choquée, la catastrophe. 
J’ai réalisé tout de suite, qu’il ne pouvait rester comme cela, il était devenu dangereux, des insectes avaient miné son écorce et rongé son cœur, ce qui restait de lui risquait de s’abattre à tout moment.
Nous avions déjà passé tout à côté de l’accident, des artisans travaillaient sous son ombre, il y a quelques jours.

Je me suis assise à terre, adossée à un piquet de vigne, à essayer de reprendre mes esprits. Je n’arrivais pas à accepter cette situation. Cela me paraissait un cauchemar, quelques minutes de profond désarroi et j’ai accepté, l’inacceptable, il allait mourir et c’était moi qui devait le décider.
J'ai fait appeler les élagueurs, ils sont venus presque tout de suite, ils travaillent chez nous un an sur deux ou trois, plus souvent pour aider nos arbres à donner le meilleur d’eux-mêmes que pour les abattre. Ils aiment les végétaux qu’ils entretiennent et sont toujours de bon conseil.
Je pensais que notre bel étranger avait une maladie cryptogamique et qu’il n’y avait guère de solution mais non, il ne s’agissait que d’une blessure mal soignée, qui probablement n’avait même pas été remarquée au départ et qui s’était envenimée.
Le vivant est toujours fragile, la vie toujours marquée du sceau de l’éphémère, c’est un banal miracle de chaque instant que nous n’en finissons pas d’oublier.
Quand les tronçonneuses ont commencé à grincer leur chant de mort, j’étais de nouveau dans notre maison avec d’autres humains, loin de cet arbre qui m’avait pourtant tant donné de beauté, d’apaisement, d’ombre.
Que faisais-je là, alors qu’il disparaissait ? Avais-je déjà oublié le parfum de ses lourdes grappes de fleurs blanches, n’avais-je plus le souvenir de ses claires folioles dorées dansant au moindre souffle ?
Et les entrelacs de ses branches sur le lumineux ciel d’hiver avaient-t-ils déjà disparu de mon esprit ?Comme j’ai eu honte, tout d’un coup, il ne méritait pas de partir ainsi seul, je me suis éclipsée avec une vague excuse.


Le vent soufflait toujours et je crois que j’ai haï pour la première fois la tramontane, il pleuvait doucement et je l’ai regardé disparaître peu à peu, branche à branche, tronçon par tronçon en emportant à chaque fois , de souvenir en souvenir, une à une toutes ces heures passées près de lui.
Il régnait un lourd silence malgré le bruit des tronçonneuses, tous les élagueurs se taisaient , navrés de leur besogne, conscients de ma peine et de mon désarroi. Je suis restée seule avec lui tant qu’il a existé, bousculée par le vent, la pluie, transie de froid et de chagrin.
Ensuite il a fallu  affronter le vide, laissé par la mort de ce robinier doré, comme le dit bien mieux que moi Jules Supervielle,’ l’air tremblait encore en forme d’arbre’, 10 m de haut, une cime de 6m de large.
Je ne reconnaissais plus mon jardin, il n’était plus là, je suis repartie retrouver mon monde humain, j’ai donné le change, plaisanté…la vie continuait, ma vie, pas la sienne !
Seulement voilà, pour moi, le vivant qu’il soit végétal, animal n’est pas moindre que la vie humaine, je lui porte autant de respect. Sans les végétaux, nous n’aurions pas d’existence, je ne l’oublie jamais.
Il a fallu deux jours pour que les larmes viennent, pour que j’intègre cette irrémédiable disparition.
J’ai tout à fait conscience qu’il doit être difficile de comprendre pour mon entourage, ma détresse.
Comme certains de ceux que je croyais mes amis l’ont suggéré, je n’ai pas planté n’importe quel arbre, n’importe où dans notre jardin !  Notre bel étranger était le point d’orgue du jardin, il y a trente ans, ce n’est pas moi qui l’ai planté comme nombre d’autres, je n’ai fait qu’étoffer une structure déjà en place. Tout ce travail journalier d’une dizaine d’années est irrémédiablement bancal, déséquilibré.
Durant quarante-huit heures, j’ai hésité : ne rien faire, renoncer, tout laisser aller,  le remplacer par un arbre de même espèce, envisager le fond de notre jardin comme un espace neuf…
Nous sommes déjà âgés, il y a peu d’arbres que nous ayons une chance de voir adultes, nous devions choisir un arbre poussant rapidement et ayant une forme et une présence compatible avec cette si grande perte.
Un passage dans une pépinière des environs m’a complètement bouleversée, je n’ai plus l’âge à choisir un nouvel arbre pour le jardin, je dois au contraire aboutir le plus rapidement possible notre projet et essayer d’apprécier ce que nous avons créé, le vivre un peu, m’y promener, y rêver, y lire, y écrire et non plus seulement y travailler du soir au matin !
Puis comme d’habitude et parce que j’ai accepté ma vieillesse qui s’avance et la fin de ma vie qui ne m’a jamais fait peur et encore moins maintenant que j’aperçois, certains jours, le bout du chemin, j’ai décidé de pousser mon rêve le plus loin possible. C’est  qu’il faut rêver très haut pour pouvoir réaliser un tout petit quelque chose !
Je suis allée chercher virtuellement notre nouvel invité, dans des livres d’abord, puis dans des pépinières virtuelles et il est prévu de le planter en fin de semaine prochaine parce que la vie n’attends pas, parce que la vie des arbres et celle des humains, n’est pas du tout à la même échelle.
Je n’ai acheté qu’un jeune arbre, planter un arbre déjà grand, n’est qu’une perte de temps, la croissance d’un arbre n’est pas chose qui se monnaye !
Un très jeune arbre s’habituera bien plus vite à ses conditions de vie et si le jardinier prend bien soin de lui, et entre en connivence aussi, cet arbre rattrapera très vite celui planté plus grand.
Un jeune frêne angustifolia ‘Raywood Flame’ va relayer notre robinier ‘Frisia’, croissance très rapide, stature un peu plus imposante mais il y a de la place, bien trop de place d’ailleurs ! Le robinier doré était magnifique au printemps, le frêne le sera à l’automne.
Aujourd’hui, j’ai rendu mes derniers hommages à mon ami le robinier, sa souche a été salée, recouverte de terre et d’une bâche qui sera encailloutée demain. Le temps, l’absence de lumière va finir de tarir le peu de vie qui restait à ce pauvre végétal. J’y placerai quelques potées de succulentes cet été et d’autres plantes cet hiver.
Demain, je creuserai sur 80cm3 environ, pour accueillir le nouvel arbre, il me faudra au moins trois jours pour terminer mon travail. Il ne sera pas planté très loin du robinier, le jardin n’est pas si large que ça à cet endroit et je me suis promis d’être plus vigilante, plus proche encore de mes arbres et de tous mes végétaux. Accueillir la vie sous quelque forme qu’elle soit, suppose de nombreux devoirs et pas seulement plaisir et simple bienveillance.
Paradoxalement, c’est la première fois cette année qu’un couple de huppes baguenaude au jardin en y entraînant leur petite nichée, magnifiques oiseaux assez peu farouches qui agrémentent leur menu d’insectivores par toutes sortes de fruits. Elles adorent mes abricots Bergeron mais trompent leur attente en dévorant d’autres friandises, elles ne m’ont pas laissé une seule cerise sur notre jeune bigarreau ‘Gold’  et ont gouté aux trois quarts des fruits de notre cerisier Montmorency pleureur, elles ont été plus avisées que nous ! Bien que je préfère les manger un rien moins acidulées, il me faudra les cueillir juste avant la maturité mais je laisserai la part des huppes, elles me débarrassent de beaucoup d’insectes nuisibles et rien que leur beauté me dédommage largement.

C’est qu’il s’agissait bien ici de beauté, celle qui passe jours après jours avant de s’éteindre, celle qui renaît et croît au fil des saisons avant d’atteindre sa pleine maturité ! Cycle éternellement recommencé,
leçon incontournable, donnée jour après jour en notre jardin !